• Le Décalogue III

    III - (7) Tu ne prendras pas le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain ; car l'Éternel ne tiendra pas pour innocent celui qui prendra son nom en vain.

      

    La troisième parole est ramassée sur un seul verset, comme la première, ce qui lui confère une certaine solennité, sans compter l'éloquence générée par les répétitions.

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    Pourtant ce commandement se situe dans la lignée du précédent qui condamnait les idoles, car il y est encore question de mensonge : ici, Dieu interdit l'usurpation de son nom, ce que l'on appelle l'imposture, le fait d'en imposer en mentant sur son identité. Au fond, il revendique une sorte de droit d'auteur, qui conditionne la reconnaissance de son autorité (voir la parenté des deux mots dans l'analyse de la première parole). En outre, après la véhémence du second commandement, on appréciera ici la pudeur de la litote « ne tiendra pas pour innocent »; la figure n'est pas rassurante, et fait au contraire peser la menace, indice de l'importance de l'interdit ici formulé. Qu'est-ce qui fait la spécificité de cette prescription et lui vaut d'être formulée à part ?

     

    « Tu ne prendras pas mon nom »: on sent l'effort de la traduction pour rendre une formule spécifique à l'hébreu. En fait, on peut aussi traduire par « tu ne porteras pas », ou même « tu ne jureras pas »: ce qui est en jeu, c'est le fait de mettre en avant le nom de Dieu, le fait de s'en servir comme caution au moment de prêter serment, c'est-à-dire d'engager sa parole. Où est le problème ?, peut-on se demander ; Dieu n'est-il pas en effet le garant de toute création, son auteur indirect ? N'est-il pas encore la référence commune qui nous relie ? Quel mal y a-t-il dès lors à invoquer son autorité ?

    Jurer, c'est prendre Dieu à témoin : mésusage du nom, dévoiement de la fonction puisque Dieu se voit relégué en position de spectateur au lieu de figurer le juge suprême ; un brouillage des repères qui peut avoir de lourdes conséquences. En effet, combien de guerres ont été livrées au nom de de Dieu ? Combien de meurtres son nom a-t-il excusé ? Jurer par Dieu ou sur Dieu, c'est aussi l'instrumentaliser, en faire une monnaie d'échange : et si l'on ne tient pas parole, que vaudra la référence divine ? Si le serment se voit brisé ou démenti, qu'en sera-t-il de la caution de Dieu ? Au fond, on prend le risque de le faire mentir ; en invoquant son nom, on brouille sa parole propre.

     

    Mais il y a plus. La convocation du nom de Dieu peut aussi servir d'alibi et dispenser de s'engager soi-même. Ainsi lorsqu'on jure, on galvaude le nom de Dieu en même temps qu'on se décharge. Dieu rappelle ici qu'il ne saurait exempter les hommes de leur responsabilité et de leur capacité à soutenir par eux-mêmes leur parole.

    Cependant ce commandement se présente comme nuancé : quoique catégorique, toujours porté par la fermeté du futur simple, il prescrit de ne pas jurer « en vain ». Exigence de discernement. L'ordre ne vise pas l'acte en lui-même (prendre le nom de Dieu), mais le contexte et les motivations. Dieu s'adresse à l'être de raison et invite à juger des situations, à évaluer les conséquences d'un serment, à réfléchir à ce que l'on engage. Cette correction n'a donc rien de fantaisiste ; elle convoque encore la responsabilité de l'homme et sa faculté à donner sens à ses actes.

     

    Ainsi, ce qui justifie l'autonomie de cette troisième parole, c'est le thème de la responsabilité. Dieu ne saurait servir de simple témoin, ni d'alibi. Il s'agit d'une part de préserver l'autorité de sa parole et de sa fonction, d'autre part de se mettre en état d'engager la sienne, en tant qu'homme.

     

    Hélène Genet


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