• Le graphe du désir, une « cinétique signifiante »

    Le graphe du désir, une « cinétique signifiante »

    Lacan introduit dans le séminaire sur Les formations de l’inconscient le "graphe du désir." Cette figure est la première topologie complète, articulant entre eux l’ensemble des termes par lesquels le sujet est constitué comme effet du signifiant. Au départ, la construction du graphe s’appuie sur la structure du mot d’esprit. Au cours du séminaire suivant, Le désir et son interprétation, Lacan en reprend le montage en trois étapes. Toutes ces avancées aboutiront à la communication présentée en septembre 1960 : "Subversion du sujet et dialectique du désir". Par la suite, Lacan n’ajoutera plus rien à cette figure topologique, mais la reprendra de temps en temps, notamment dans le séminaire sur l’éthique de la psychanalyse, le transfert et l’identification.

     

    Ce que formalise Lacan avec le graphe du désir, c’est, selon ses termes mêmes, une « cinétique signifiante" (1) soit le procès de la signification dans une triple tension : diachronique vs. synchronique, subjective vs. réceptive, et bien sûr consciente vs. inconsciente. De telles coordonnées déplient la complexité exceptionnelle de l’opération signifiante autant que son impossible maîtrise, du côté de celui qui parle comme du côté de celui qui l’écoute, et c’est ainsi que nous ne savons pas ce que nous disons... non plus que ce que nous entendons d’ailleurs. Dès lors il vaut sans doute mieux ouvrir le jeu de la signification.

     

    Pour Lacan il s’agit de comprendre le mot d’esprit (« famillionnaire »), mais aussi bien le lapsus : d’un côté le jeu (virtuose) des mots, de l’autre leur faillite ; ici une intention signifiante revendiquée dans son dédoublement, et là sa ruine. Il interroge donc les surprises de la signification, qui révèlent ce qui est en jeu, ce que brouille ou dévoile l’acte énonciatif : qu’est-ce qui se dit dans ce qui s’entend ? qu’est-ce qui s’entend dans ce qui se dit ? En-deçà du discours donc, toujours la question de la vérité, en l’occurrence celle du désir de celui qui parle : qu’est-ce qu’il veut dire à la fin ? D’où la formalisation sous l’intitulé graphe « du désir » et non « de la signification » par quoi Lacan expose le principe organisateur de l’activité de langage. Mais ici comme avec notre écrivain, les déclarations (ou protestations) d’intention seront considérées comme toutes relatives, voire suspectes, car la signification (la vérité) est très exactement ce qui échappe. Donc, question subsidiaire : qui parle au juste ? Y a-t-il un auteur susceptible de répondre des effets de sens ?

     

    Le signifiant nous gouverne définitivement, aussi le "graphe du désir" cherche-t-il à rendre compte de la manière dont le sujet $ s’y trouve pris : quelle instances (le moi, l’idéal du moi) et quelles motions (la pulsion) interviennent dans la dialectique de la signification. De toujours en passer par le grand Autre, A, c’est un procès composite qui ne saurait se déplier sans la dimension de l’écoute analytique, c’est-à-dire sans immixtion intersubjective, sans une activité de perlaboration seule à même d’épingler le désir à l’œuvre. La signification est donc bien d’ordre cinétique, et comme telle elle se supporte d’une dynamique temporelle : celle de l’acte énonciatif où s’articule l’énoncé au niveau conscient, dans une intention court-circuitée par l’image spéculaire i(a) qui conforme le moi ; celle de l’insistance pulsionnelle qui se cristallise dans le fantasme S<>a et vient parasiter le discours ; celle enfin d’une jouissance à jamais différée par l’enchaînement symbolique.

     

    (1) Séminaire IX, L'identification, leçon du 09 mai 1962.

     


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