• Sainte Sécurité

    Le principal du collège Université à Reims, ayant été sollicité pour inscrire en 6è un enfant handicapé moteur, considéra d'un air pénétré la perspective. 

    D'un côté son devoir républicain et un altruisme diffus lui enjoignant l'intégration inscrite dans la loi ; de l'autre l'hypothèse des adaptations nécessaires : regrouper autant que possible les cours dans une même salle, réfléchir au branchement d'un ordinateur… euh… quoi d'autre ? en fait, il ne savait pas bien, puisqu'il n'avait pas demandé quel était le handicap de l'enfant, ni ne l'avait vu, mais enfin il affirma du haut de son importance que c'était compliqué, difficile, enfin impossible à prévoir, qu'il fallait demander aux professeurs, ou à l'intendant, et même à d'autres, à cause des travaux à venir, ou "pour des raisons de Sécurité". (Ici la mère de l'enfant, ignorante des difficultés de la vie et des responsabilités directoriales, opina d'un air compatissant.)

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    Sécurité est la Sainte patronne de la normalité conforme. Son invocation permet de traquer tout désordre, et disqualifie ipso facto tout ce qui dépasse. Le handicap dépasse, eh oui, c'est même à cela qu'on le repère. Les revendications, les besoins humains aussi - par exemple la nécessité pour un enfant handicapé d'aller dans le même collège que ceux qui le connaissent depuis le CP - ça dépasse, ça dérange, ça fait désordre. Sécurité permet de faire l'économie de ces paramètres compliqués. Grâce à elle, tout est lisse et onctueux. Sécurité ne prévoit donc jamais le handicap - mais ça, il ne faut pas le dire trop fort, c'est un blasphème.

     

    A noter que Sécurité a bien d'autres avantages : d'abord elle est financièrement rentable. En son nom que nos institutionnels adorent, quantité de lois sont produites, quantité d'équipements sont imposés, qui alimentent le Marché en mal de profits et grèvent chaque jour la mythique dette étatique. Ensuite et à l'occasion, elle sert à faire taire les foules houleuses et vindicatives qui battent le pavé un peu trop bruyamment (voir la chronique n°204 de Didier Martz, ainsi que quelques épisodes historiques égarés dans nos mémoires oublieuses). Enfin, et ce n'est pas la moindre de ses qualités, elle permet d'évacuer définitivement l'épineuse question de la responsabilité, qu'il vaut toujours mieux laisser à d'autres.

     

    Bref, à peine évoquée, voici donc l'intégration généreusement découragée et compromise. On reconnaît là la flexibilité, le courage et l'inventivité qui caractérisent l'école publique post-moderne à qui pourtant on ne demande plus grand chose. Dans ce même collège hautement sécurisé, où les adolescents sont cantonnés une trentaine d'heures par semaine, les parents se battent depuis des années pour que leur progéniture ait des WC en état de soulager leurs besoins occasionnels. On comprendra donc sans peine qu'il y soit fort compliqué de songer aux besoins particuliers d'un enfant handicapé.

     

    Ainsi va le monde démocratique.

     

    Hélène Genet, dans les pas de Didier Martz que je remercie.


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