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L'abandon
Il ne fallait pas dormir
pourtant je dormais déjà
je dormais dans la rue au volant immobile en marches pétrifiées
je dormais déjà vigilance chimérique derrière mes paupières si lourdes
le sommeil se déversant en chapes impériales sur les veilles obstinées
la volonté à l'ancre des tâches sacrées
et le monde résonnant d'injonctions paradoxales
parfois dans mes réveils terrifiés, je parcourais des dédales mouvants, traversais des galeries de lépreux, médusée par les mots dits gravés en médaillons
j'ai même fendu, interminablement, les tentures diaphanes d'un labyrinthe en silicone, cherchant après l'enfant fugueur, noire chevelure enfuie au détour d'un couloir
j'ai fini par m'endormir, me couler consentante au pied des murs familiers
et je vous ai trouvé dans mes sous-sols silencieux, dans la grande salle aux statues de craie, vous savez, mes statues en guirlandes sanglantes en haut des longs piliers, vous savez maintenant
votre main indifférente tenant la mienne étonnée, patient tranquille à mes côtés troublés, sur les traces de l'enfant disparu
vous m'avez suivie, vous en souvient-il, dans les souterrains délabrés et d'insoutenables questions
vous vous teniez près de moi, aveugle suspendu à mon regard perdu, malgré les amputations les possibles charniers, consentant à toutes les errances, sachant bien cependant
et c'est ainsi au fil de votre vaillance que je me suis abandonnée
de sommeil enivrée à satiété le corps déplié en alcôve
vous voilà au-dessus de moi le regard brillant
homme advenu de sa force décuplée virile
c'est l'heure promise
Hélène Genet
Illustration : Claudia Karlisky "Les corbeaux menacent encore le ciel", 1989
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