• Lacan - Le moi (Séminaire II, 1954-55)

    "Car Je est un autre." Rimbaud

    Lacan - Le moi (Séminaire II, 1954-55)

       

    Ce séminaire dont le titre complet est "Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse", tout comme en son temps "Au delà du principe de plaisir" (1920), vise à rappeler la fonction fondamentalement aliénante du Moi, noyau de résistance, instance imaginaire et puissance trompeuse qui brouille la soumission à l'ordre symbolique et l'insistance des paroles fondatrices. Dans le même temps, et corrélativement, il s'agit de dénoncer la récupération de la psychanalyse par la psychologie et l'impossibilité de la réduire à un savoir et, par la suite, à une technique de reconfiguration du moi. Ce moi est bien ce qui est lui-même identifiable à un savoir, or la vérité qui nous mobilise est ailleurs et sera toujours de l'ordre du surgissement, hétérogène à tout savoir constitué.

     

    Ce que la psyK met au jour : que le moi, pensé par la philosophie comme l'essence du sujet, son principe unifiant (modèle théologique de l'âme puis cogito cartésien), ce moi est dans le système psychique une illusion fondamentale, culturellement construite, et valant surtout par sa fonction (imaginaire). Même si la philosophie avait déjà commencé à déconstruire ce mythe d'une substance du Moi (et les moralistes à pointer le leurre de la recherche du bien), la découverte freudienne d'un enracinement inconscient vaut, quant à la représentation de l'homme, révolution copernicienne : le sujet est décentré par rapport à l'individu et à l'intelligence dont il se targue, le moi est distinct du JE par lequel il s'expose. Cette conception rompt définitivement avec l'humanisme qui a fait de l'homme la mesure de toute chose. La psyK définit au contraire la subjectivité comme "système organisé de symboles".

    L'ordre symbolique qui spécifie l'humain est constitué comme un tout, c'est-à-dire un ensemble autonome, un univers propre où tout se tient. C'est cette structure fondamentale chez l'homme qui le conduit à penser et à décrire le monde toujours en termes mécanistes : entre l'homme et la machine, il y a adhérence ; dès lors la liberté humaine doit être pensée à partir de cette capacité de décomposition (et tant pis pour ceux qui s'en tiennent à une réduction mécaniste). Cette dimension symbolique est cela même qui transcende la réalité humaine : "tout à la fois, nous ne pouvons pas y rester, nous ne pouvons pas en sortir" (Hypollite), "c'est la présence dans l'absence et l'absence dans la présence" (Lacan). Reste à interroger les conséquences de cette organisation phénoménologique, mais le niveau de l'analyse, son champ opératoire, c'est bien ce registre du symbolique. La réponse ou l'interprétation doivent s'articuler à cette dimension toujours décentrée par rapport au vécu et à la quête du moi, car le symptôme est très exactement de cet ordre-là et qu'il n'y a pas d'autre accès au réel.

    Le moi est, comme tout ce que nous voyons dans le miroir de la conscience : un mirage. Indépendamment de ce phénomène contingent : les productions humaines, les machines, l'infrastructure symbolique, le JE. Le moi est une image qui se forme dans le miroir et qui dès lors confère au sujet une unité virtuelle et aliénée. Le moi est donc le produit d'une fascination. Le problème est qu'il est ensuite érigé en symbole : nous croyons en sa plénitude (c'est un veau d'or)... mais ce n'est pas là que ça parle. C'est dans l'inconscient, discours de l'autre, que ça parle, ce dont je ne suis que le véhicule (à mon corps défendant). C'est là le ressort de la compulsion de répétition qui fait vaciller tous les mécanismes de réduction des tensions, d'homéostase. La quête de l'objet, toujours perdu et donc à retrouver, est de cet ordre-là. Ainsi ce qui doit arrêter l'analyste, ce sont les failles : il s'agit de ne surtout pas comprendre le malade.

     

     


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